Casino, Couche-Tard, Auchan : Carrefour cherche toujours à se marier
La mise sur la place publique de possibles discussions de rapprochement entre Carrefour et Auchan fait réagir la famille Mulliez en ordre dispersé. Mais Alexandre Bompard cherche bien à consolider le secteur. Et Auchan est aujourd’hui trop isolé.
S’il était adolescent, Alexandre Bompard serait mortifié. Avec les propos vifs tenus ce week-end par les propriétaires d’Auchan, c’est la troisième fois que ses projets d’idylle avec un autre distributeur tombent à l’eau, et que tout le monde le sait. Mais Alexandre Bompard est un PDG expérimenté : son cuir est autrement plus épais que celui d’un jouvenceau.
Depuis qu’il a pris la tête de Carrefour en 2017, le dirigeant appelle de ses vœux une plus grande concentration de la distribution, en particulier en France.
Dès 2018, il avait tenté une première approche auprès de Casino. Jean-Charles Naouri, pas intéressé, s’était empressé de faire savoir par communiqué qu’il avait reçu des avances de Carrefour "en vue d’une tentative de rapprochement" et qu’il les avait rejetées.
Des insinuations "inacceptables"
Sans démentir les rencontres entre les deux dirigeants, l’entourage d’Alexandre Bompard avait à l’époque jugé les insinuations de Casino "inacceptables".
En 2019, alors que les holdings de Jean-Charles Naouri étaient placées en procédure de sauvegarde, le PDG de Carrefour s’est senti en position de force pour revenir à la charge. Une approche directe des créanciers du patron de Casino, pour un rachat pur et simple, aurait été envisagée par Alexandre Bompard, sans aboutir.
L’année suivante, la surprise est venue du Canada : le projet de rachat par Couche-Tard était accueilli avec bienveillance, jusqu’à ce que le gouvernement français y mette son veto.
Loin de se décourager, le PDG de Carrefour a alors commencé à étudier sérieusement l’hypothèse Auchan. À la rentrée 2021, des projets et des premiers contacts ont fuité, d’abord dans la presse brésilienne, puis dans Le Monde. Des échanges a priori sans suite, mais pas rompus non plus.
"Il n’est pas question de discuter"
Piqué au vif, le fondateur d’Auchan Gérard Mulliez a répliqué dans La Voix du Nord à l’article du Monde. "Il n’est pas question de discuter et d’échanger pour se rapprocher de quiconque, encore moins de vendre Auchan ou de réaliser je ne sais quelle opération financière avec un concurrent", s’est-il époumoné.
Mais le patriarche n’exerce plus que des fonctions honorifiques au sein du groupe. Ce que l’Association familiale Mulliez (AFM) a rappelé dans le même journal 24 heures plus tard. Poliment, mais fermement.
"Nous veillons au respect des fondateurs, entrepreneurs historiques de nos entreprises, et en même temps à l’intérêt collectif des collaborateurs, des entreprises et de la famille actionnaire", a répondu Barthélémy Guislain, le président de l’AFM. Pour ajouter aussitôt : "La famille ne peut soutenir l’idée que ses entreprises puissent composer un écosystème fermé pour répondre à leurs enjeux notamment environnementaux et digitaux. […] Nous pensons que le futur se construit par les échanges, l’ouverture aux autres et potentiellement par des partenariats portés par nos entreprises autonomes. Nous pouvons discuter d’alliances ou de partenariats, nous l’avons toujours fait, mais une chose est certaine : nous ne vendrons jamais Auchan !"
Autant de cadeaux faits à Leclerc
Il est très peu probable, de toute façon, qu’Alexandre Bompard ait cherché à racheter Auchan. Même si la valorisation des entreprises de distribution alimentaire est désespérément basse, Carrefour n’aurait pas grand intérêt à faire l’acquisition d’un autre spécialiste des grands hypermarchés, le format le plus à la peine en France. Sans compter que dans de nombreuses agglomérations, les cessions à envisager pour cause de concurrence seraient autant de cadeaux faits à Leclerc, qui n’en demande pas tant.
Il n’en demeure pas moins qu’Auchan est bien seul dans le paysage des alliances commerciales, depuis le départ cette année de Casino. Rejoindre le partenariat noué entre Carrefour, Cora et Système U représenterait déjà une hypothèse séduisante. Avant, qui sait, d’inventer de nouvelles collaborations.
Si aucun deal n’est finalement signé entre Carrefour et Auchan, en revanche, Alexandre Bompard aura fait le tour des candidats potentiels en France (difficile d’imaginer un rapprochement capitalistique avec les groupements d’indépendants). Mais la tentative de Couche-Tard l’a rappelé, le terrain de chasse est mondial.