Oserez-vous faire du Kaufland ?
De part et d’autre du Rhin, le Kaufland allemand de Lörrach et le Géant de Saint-Louis (68) ne sont distants que d’une petite vingtaine de kilomètres. Pourtant, un monde les sépare. Pour le client français de passage, faire ses courses chez Kaufland c’est comme faire un bond vingt ou trente ans en arrière tant le concept de l’enseigne allemande suinte l’extrême sobriété. Kaufland, c’est en quelque sorte du Leclerc certifié « d’origine », avant embourgeoisement.
En comparaison, même les Wal-Mart allemands - pourtant eux aussi relativement dépouillés - passeraient presque pour des grands bourgeois du commerce. A Freiburg, face à Colmar, l’hypermarché du groupe américain se « laisse aller » à éclairer ses gondoles d’épicerie de l’intérieur. On y trouve un bar à olives, une cafétéria nichée au sein du rayon bazar et une zone textile (George) bien balisée. Rien de tout cela au Kaufland de Freiburg. Dès l’entrée, le ton est donné. Les bacs où s’entassent chaussettes, caleçons et autres serviettes de bain font immanquablement penser au mobilier fatigué d’un Monoprix version début des années quatre-vingt.
Huile végétale en fût de 10 l
Les gondoles qui équipent l’ensemble du magasin sont du même acabit : des étagères métalliques sans chichi, style magasin de bricolage. Avec le même coloris grisâtre pour tout le monde, liquides compris. Même le Champagne n’a pas droit à un traitement de faveur. Pas ou peu de concession chez Kaufland. Toutes les petites économies sont bonnes à prendre. L’éclairage est parcimonieux, l’ambiance presque lugubre. Les caméras de surveillance sont rares. Les bons vieux miroirs font encore l’affaire. Aux caisses - hors d’âge - on ne distribue pas de sacs jetables. L’enseigne n’a pas de carte de fidélité.
La fidélité de ses clients, l’enseigne allemande l’entretient grâce à des recettes discount éprouvées. Comme en hard-discount (Kaufland et Lidl font partie du même groupe : Schwarz), les prix sont imprimés en gros caractères sur les étiquettes. Les stops rayons et les affiches promos jaunes tranchent sur la blancheur uniforme des murs et des plafonds (sauf aux rayons fruits et légumes, charcuterie et boucherie, tous trois dotés d’une modeste signalétique d’ambiance). Le trad est réduit à la portion congrue : charcuterie et fromage à la coupe.
En linéaire, farine, sucre, packs de lait et autres rouleaux de papier essuie-tout sont présentés massivement sur palettes. Aux fruits et légumes, les filets de pommes de terre sont directement entassés dans des rolls. Dans la plupart des cas, les articles ne sont pas délotés. Les clients fouillent dans les cartons d’origine : paquets de biscuits, tablettes de chocolat, céréales, yaourts. Jusqu’aux plaquettes de beurre. Les gros conditionnements sont nettement plus nombreux qu’en France : chips en baril type lessive en poudre, pains de margarine de 2 kg, sachets de farine de 5 kg, fûts d’huile végétale de 10 l, etc. A la boucherie, on trouve aussi des barquettes de plus de 3 ou 4 kg, voire même davantage.
Kaufland c’est aussi l’exploitation du moindre pouce de terrain disponible. Jusqu’à l’obsession. Le mince espace séparant les deux tapis de l’escalator reliant le rez-de-chaussée au 1er étage déborde d’un bric-à-brac improbable : pinces à linge, piles, sous-vêtements ! Le merchandising relève souvent du bon sens commerçant. Un exemple parmi d’autres : les verres sont disposés à côté des vins. Inhabituel en France mais tellement plus logique.
MDD : 5 % du CA
Enseigne sœur de Lidl, Kaufland se distingue toutefois nettement du hard-discount sur un point majeur : l’omniprésence des marques nationales et internationales. Elles sont ici chez elles ou presque. Au Pet-food, les boîtes Whiskas et les barquettes de Sheba ou de Cesar se taillent littéralement la part du lion. Même chose à l’épicerie (Buitoni, Uncle Ben’s, Ferrero, etc.), à la confiserie (Nestlé, Mars, M&M’s, Kinder, etc.), ou bien encore au frais (Danone, Herta, Kiri, Boursin, etc.). Une visibilité encore accrue par la faible largeur de l’assortiment alimentaire (20 000 références en moyenne contre 30 000 chez Wal-Mart et 33 000 chez Real, l’enseigne hyper de Metro).
L’introduction de K-Classic, la MDD maison, remonte seulement… à la fin 2003. Encore relativement peu présents en rayon, les produits signés Kaufland couvrent les basiques : céréales, thé, café, lait, conserves de légumes, pâtes, sucre, farine, etc. (les barquettes de viande Purland sortent des propres centres de découpe du groupe allemand). Au total, la gamme K-Classic ne compte encore que 500 références économiques (avec un objectif de 1 000 produits) pour une quote-part de 5 % seulement du chiffre d’affaires de l’enseigne (contre plus de 27 % en moyenne en France sur le total PGC + frais LS). « Kaufland planche aussi sur la création d’une MDD au positionnement plus haut de gamme sur l’alimentaire et le non-al », ajoute Gerd Hanke, de l’hebdomadaire allemand spécialisé Lebensmittel Zeitung.
Avant tout basé sur un concept très dépouillé et sur le discount des grandes marques (une formule initiée par Leclerc il y a 56 ans), le système Kaufland a aussi ses faiblesses. Le manque de personnel est patent. Du coup, les employés passent plus de temps en surface de vente pour remplir les rayons, avec les encombrements qui vont avec. Les palettes en souffrance obstruent des allées déjà plutôt étroites. Aux fruits et légumes, la propreté laisse à désirer (feuilles de salades au sol, carrelage mouillé). Les spots mettent peu en valeur les produits frais. Reste néanmoins l’essentiel pour les clients : les prix. « Kaufland est de 5 % à 10 % moins cher que Wal-Mart ou Real sur l’alimentaire. L’enseigne est particulièrement agressive en ex-Allemagne de l’Est », pointe Gerd Hanke. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, disait Alfred de Musset.