En France, les risques promotionnels sont rarement couverts
Quand la promo vire au sinistre
"Nos commerciaux nous avaient alertés assez rapidement. Dès le premier jour du catalogue, nombre de magasins s'étaient retrouvés en rupture. Mais c'est quand la société de gestion nous a envoyé ses premiers bilans de remontées que nous avons pris la mesure des dégâts ". Caroline est directrice marketing d'une entreprise régionale de charcuterie LS. L'an passé, convaincue par Atac de participer à un prospectus " remboursement intégral ", elle inclut deux références au catalogue. Elle se doute que le taux de retour vont être supérieurs à celles des opérations individuelles " on pack " qu'elle a pu mener jusque-là.
Ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'avec un montant potentiel de 260 euros de produits 100 % remboursés, l'initiative de l'enseigne va provoquer une véritable ruée sur les produits en question. Qui plus est, Atac a prévu un collecteur de preuve d'achats. Pour faciliter la tâche des clients, certains magasins vont même jusqu'à regrouper l'ensemble des produits concernés. Au final, les demandes de remboursement validées par le prestataire s'élèvent à 35 % des produits vendus dans le cadre de l'opération par ce fournisseur.
Le fabricant en question n'ayant pas pris de dispositions particulières pour couvrir ce risque promotionnel, il lui a donc fallu assumer seul l'intégralité du remboursement. Même si les deux références ont vu leurs rotations multipliées par deux sur la période, l'entreprise s'est retrouvée dans une situation fort délicate en matière de trésorerie. Et la direction commerciale a dû batailler ferme pour qu'une partie des sommes précipitamment sorties puissent être portées en acompte au titre des budgets de coopération commerciale pour l'exercice suivant.
Offres de remboursement, jeux-concours ou primes on-pack : toutes ces mécaniques promotionnelles présentent un caractère aléatoire. C'est précisément cette part d'incertitude qui peut justifier la souscription d'un contrat d'assurance. " Même avec un historique bien documenté, un industriel ne connaît pas le niveau de retour auquel il s'expose, explique Patrick Lechevallier, expert en sinistres promotionnels. Certes, si l'offre est physiquement portée par le produit, il a la maîtrise des volumes mais il ne sait jamais comment le consommateur va réagir ".
Le taux de remontée reste une variable très imprévisible. Et que peuvent influencer de multiples paramètres : valeur de l'offre, mise en avant ou non, nature de l'appel pack sur l'emballage, type de mécanique, durée de l'opération, etc.
L'assurance ne couvre qu'une plage du risque pris
Quand il s'assure, le service marketing se prémunit contre un dépassement de budget. Pour fixer le seuil à partir duquel il souhaite se couvrir, des taux prévisionnels peuvent lui être communiqués par les sociétés de gestion. Il arrive cependant que pour prendre un marché, ces prestataires sous estiment les taux de remontée. En France, le marché de l'assurance promotionnelle met aux prises cinq ou six courtiers. Ce sont eux qui affinent les seuils d'intervention avant de soumettre les dossiers aux compagnies d'assurance. Sur l'Hexagone, elles ne sont plus que quatre à garantir ce type de risques.
L'assurance prend à sa charge le dépassement dans la limite de deux fois son seuil d'intervention. Si le seuil est fixé à 10 %, la garantie couvrira les remontées jusqu'à 20 %. Au-delà, c'est l'industriel qui reprend le risque à son compte. Les frais variables, notamment ceux facturés par la société qui gère l'opération, sont également intégrés au budget, dans la limite de la même fourchette. Le coût de la couverture des risques promotionnels correspond le plus souvent à 15 % du capital assuré. Certains contrats comportent des avenants qui permettent aussi de se prémunir contre une réussite insuffisante de l'opération.
La détermination des seuils d'intervention est un domaine qui requiert beaucoup d'expertise. Jean-Louis Bucher est courtier à Aix-en-Provence. " J'accepte environ 80 % des demandes qui me sont soumises, charge à moi de revendre ensuite le montage à une compagnie. " Il se souvient des premiers " bouillons " qu'il a pris, il y a quelques années, quand les pin's ont eu leur heure de gloire. " Avant que la vogue ne démarre, ce type de primes différées tournait autour de 2 % de remontées. Puis soudainement, c'est monté à 10 % ". Compte tenu de la durée des opérations, organisées sur six mois ou un an, il faut parfois du temps pour disposer des bilans et réajuster les seuils d'intervention.
Contrairement aux attentes, le passage à l'euro a dopé l'intérêt des consommateurs pour les offres de remboursement. Mais là, du fait de cadrages beaucoup plus serrés en matière de durée, l'augmentation des taux de retours a pu être constatée beaucoup plus rapidement. D'où une meilleure réactivité des cabinets de courtage pour affiner les dossiers qu'ils ont eus à monter par la suite.
Seulement 8 à 10 % des opérations sont assurées
Une fois qu'un assuré avertit la compagnie d'un sinistre, celle-ci missionne un expert. Il se rend d'abord à la société de gestion, vérifier la validité des chiffres qui ont été recueillis. L'expert demande également à voir les bons de livraisons ou les factures émises par l'industriel, en particulier pour contrôler que les volumes de produits porteurs ou livrés aux centrales soient bien en ligne avec ceux qui figuraient au contrat.
Seuls 8 à 10 % des opérations promotionnelles réalisées en France seraient assurées. D'après Jean-Yves Guiho, l'un des principaux courtiers du secteur, le nombre de contrats tend à diminuer. Plusieurs raisons à cela. " Tout d'abord, on observe que plus les mécaniques sont connues, mieux les industriels maîtrisent les remontées et moins ils ressentent le besoin de s'assurer. Surtout, les opérations collectives des enseignes, trop risquées à assurer, accaparent les budgets et phagocytent les initiatives traditionnelles menées individuellement par les marques. "
De l'avis des courtiers, la part des montages couverts par les assurances mais dont les taux de remontées dépassent les fourchettes de prise en charge restent assez faibles : de l'ordre de 5 à 10 %.
Quand les GMS s'immiscent dans le jeu promotionnel
Les pages d'articles " 100 % remboursés " intégrées par Intermarché, Carrefour ou Atac à leurs prospectus induisent des risques que les assureurs ne souhaitent pas couvrir. Il est en effet très difficile de connaître avec précision les volumes mis en circuit. Les industriels ne maîtrisent pas les flux de marchandises chez leurs clients : ni entre les entrepôts et les magasins, ni entre les différentes enseignes rattachées à une même centrale. Des sociétés de gestion peuvent ainsi recevoir plus de demandes de remboursement que ce que l'industriel, même de bonne foi, déclare avoir livré dans le cadre de telle ou telle opération.
Les " volumes cachés " ne sont pas la seule forme d'intrusion de la distribution dans le jeu promotionnel. Témoin, le détournement pur et simple, dans certains magasins des coupons de réduction, parfois renvoyés par carnets entiers aux sociétés de gestion.