Marques de distributeurs
Offre MDD : Carrefour va-t-il trop loin ?
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Carrefour, Carrefour J'aime, Carrefour Bio, Escapades Gourmandes, Reflets de France, Destination Saveurs, HDL/PCI, N°1 : avec ses huit niveaux d'offre maîtrisée, Carrefour se distingue nettement de ses concurrents par la complexité de son assortiment. " Il convient de distinguer la MDD où figure le nom de l'enseigne et les MDD thématiques : Reflets de France, Tex, etc. Dans les produits Carrefour je considère qu'il y a trois niveaux d'offre : les produits basiques (PCI), les impliquants (conventionnels) et les produits de niche (Carrefour Bio et J'aime) ", prévient Alain Thieffry, le directeur marketing Europe de Carrefour. Sur le terrain néanmoins, force est de constater que les offres pilotées par Carrefour s'accumulent, certaines souffrant du virage discount pris depuis l'arrivée de la nouvelle MDD HDL/PCI et des produits N°1. Autrefois mises en exergue, les marques thématiques sont noyées dans des rayons bondés. Assortiments en baisse pour Reflets de France (- 16 % entre 2001 et 2004), Escapades Gourmandes (- 37 %) et Destination Saveurs (- 44 %), premières suppressions de références pour J'aime : le maintien de l'ensemble des marques thématiques est-il légitime ? " Reflets de France conserve tout son sens. Quant à Destination Saveurs et Escapades Gourmandes, une réflexion est en cours ", admet Alain Thieffry. Si le maintien d'une gamme exotique peut se comprendre sur les meilleures rotations, les territoires des deux autres marques concernées par la réflexion se recoupent régulièrement. Le maintien des deux est-il légitime ? Historiquement, d'ailleurs, Escapades Gourmandes constitue la réponse de Carrefour à Reflets de France, gamme lancée par Promodès.
Quant à J'aime, l'enseigne reconnaît que " les résultats sont très hétérogènes. Le pain de mie rencontre un franc succès. D'autres produits se sont en revanche révélés inutiles dans des gammes déjà suffisamment complexes. Mais la santé et la diététique restent des mouvements de fond et nous avons des projets en cours ".
S'agissant de l'offre signée du seul nom Carrefour, elle progresse mécaniquement du fait de l'arrivée de PCI. A la fin de l'année, l'offre PCI devrait atteindre environ 350 produits en alimentaire, laissant présager une augmentation de l'offre d'un quart. Sauf si la nouvelle arme anti-discount oblige à procéder à certains arbitrage. En effet, dans l'absolu, le concept est séduisant. " L'arrivée de PCI est fortement liée à l'évolution de la MDD, historiquement positionnée par rapport aux marques nationales. La marque propre a dérapé en même temps que son référent s'agissant de la qualité, donc du prix, explique Alain Thieffry. Avec la montée en puissance du hard-discount, il est devenu nécessaire de se repositionner sur des produits plus simples, plus dépouillés, retrouvant l'esprit des produits libres ". Depuis la mise en application de la loi Galland, l'écart entre les premiers prix et les marques nationales ne cesse effectivement de se creuser, laissant une place vacante pour un nouvel échelon de prix (voir le Linéaires n°186 ). " Vu la puissance d'achat de Carrefour sur un plan international, nous avions le pouvoir d'être plus compétitifs que le hard-discount sur des produits basiques, sans pour autant rogner sur certaines exigences comme l'absence d'OGM, poursuit AlainThieffry. Et nous avons réussi à créer des produits Carrefour moins chers que tout le monde ".
La gamme Carrefour classique bientôt relookée
Mais dans la pratique, l'arrivée de HDL/PCI soulève de nombreuses questions, outre l'impact négatif sur le chiffre d'affaires. Notamment celle de la concurrence avec les produits Carrefour conventionnels. " Nous allons effectivement retravailler le packaging de la gamme Carrefour classique pour mettre en valeur les avantages produits. Après une période consacrée à la refonte des packagings dans ce sens, nous modifierons également la communication, annonce le directeur marketing. De fait, l'arrivée des emballages PCI, plus modernes, a fait vieillir les autres ". Car, même si Carrefour dément une cannibalisation excessive entre les deux gammes, estimant " avoir touché une nouvelle cible de clientèle ", le risque est bien réel et palpable en magasin. Certains classiques ont d'ailleurs déjà été poussés dans les oubliettes par leur pendant version HDL/PCI.
Avis d'experts
Judas Paysant : "Le consommateur est perdu"
La distribution réitère aujourd'hui les erreurs qu'elle avait déjà commises dans les années 88-90, suite à l'arrivée du premier Aldi à Croix. A l'époque, les gammes premiers prix avaient fleuri un peu partout pour tenter de juguler la progression du hard-discount, semant au passage la confusion dans l'esprit des consommateurs. Lesquels avaient déjà du mal à comprendre pourquoi plusieurs niveaux de prix cohabitaient. En outre, force est de constater que le discount a continué de se développer. Aujourd'hui, la distribution se trompe de combat en se focalisant sur le prix des MDD. La capacité de recrutement de ces nouvelles MDD d'entrée de gamme reste clairement à démontrer. Les consommateurs feront-ils des kilomètres supplémentaires pour aller acheter des produits PCI ou continueront-ils à se rendre au discounter le plus proche ? Il ne faut pas oublier que la distribution souffre avant tout de son éloignement géographique du consommateur et de sa non-spécialisation. Parallèlement, à force d'hyper-segmenter, les enseignes oublient une règle incontournable en MDD: une gamme courte, des produits de qualité qui tournent. Mais il ne faut pas s'étonner : employer une armée mexicaine pour gérer la MDD ne peut qu'entraîner un enrichissement de l'offre. Une fois encore, le consommateur est perdu.
Philippe Breton, directeur de PHB Consultants : "Trop de choix tue le choix"
Les gammes MDD ont une équation délicate à résoudre : ne pas faire de sur-qualité, non perçue par le consommateur, tout en proposant un " plus " produit ou service et en intégrant la dimension prix. A trop se concentrer sur les prix, les GMS se battent à armes inégales avec le hard-discount, qui tire sa force des volumes réalisés sur chaque référence. La distribution s'est globalement technocratisée et doit désormais renouer avec davantage de pragmatisme et remettre le client au cœur de leurs préoccupations. L'erreur serait de croire que les consommateurs fréquentent le hard-discount juste parce que c'est moins cher. Ils plébiscitent également l'optimisation du temps. En hypermarché, la multiplication des niveaux d'offres rend le consommateur dubitatif s'agissant des différences de prix entre la multitude de gammes. On sait par exemple aussi que le comportement du chaland devient irrationnel lorsque plus de six références s'offrent à lui pour répondre à un même besoin. Il finit par choisir presque au hasard. Les hypers doivent se pencher sur le problème crucial de la profusion de l'offre. Trop de choix tue le choix. En outre, la segmentation à outrance de la MDD pose un problème majeur : celui des coûts des séries. Mécaniquement, plus elles sont petites, plus le coût est élevé. Mieux vaudrait donc se recadrer sur une marque propre forte, véhiculant les valeurs de l'enseigne, reconnues par le client.