Négos : toujours le même poker menteur…

5 février 2018 - B. Merlaud

Négos : toujours le même poker menteur…

La charte des états généraux n'aura rien changé au climat des négos. Industriels et distributeurs s'accusent mutuellement de mauvaises pratiques, se rejetant la responsabilité du traitement des agriculteurs. Le gouvernement, pour l'instant, regarde passer les balles.

La situation était tellement prévisible… Comme Linéaires l'écrivait en novembre dernier, la charte de bonne conduite signée par les acteurs de la filière alimentaire a en réalité conforté les industriels et les distributeurs dans l'idée que ce serait à l'autre partie de faire des efforts pour mieux rémunérer les agriculteurs.

A trois semaines de la fin des négociations annuelles, c'est exactement ce qu'ils se reprochent les uns les autres.

Comportements contraires à la loi

Les fournisseurs ont retenu de la charte la promesse de voir leur "création de valeur" respectée. L'Ania (association nationale des industries alimentaires) et l'Ilec (grands industriels) s'indignent aujourd'hui devant "des demandes de baisses de prix systématiques", la "banalisation" des démarches qualité, la non prise en compte des hausses de matières premières et des comportements "contraires à la loi" de la part des acheteurs dans les box.

La Feef (fédération de PME) en appelle même à une réglementation qui rendrait obligatoire pour les enseignes l'application du tarif fournisseur, seul garant selon elle d'un juste prix assuré aux agriculteurs.

Industriels vertueux

Les distributeurs, en face, ont surtout apprécié dans la charte l'engagement de transparence de la part des industriels. Sur la construction de leur tarif, sur le poids réel des intrants agricoles dans leurs produits et sur la répercussion effective des hausses auprès de l'amont.

A entendre les enseignes, ceux qui se plaignent le plus des négos aujourd'hui seraient les fournisseurs qui ne font pas preuve de la transparence attendue et ceux qui ne travaillent pas ou peu avec les agriculteurs français.

Les PME et les industriels vertueux, eux, seraient bien traités. La preuve : par rapport à 2017, davantage de contrats ont été finalisés un mois avant l'échéance des négociations.

Les comportements délictueux dans les box, en revanche, sont minorés mais pas nécessairement niés. "Les soi-disant témoignages anonymes pour dénoncer les méthodes de négociations ne correspondent à aucune réalité globale", a étrangement commenté la FCD, fédération du commerce et de la distribution.

2 milliards d'inflation en jeu

Dans l'espoir (ténu) de mettre les politiques de leur côté, les distributeurs insistent sur l'impact macroéconomique des hausses de prix demandées par les fournisseurs, si elles passaient en l'état. Pour la FCD, c'est une augmentation moyenne du tarif des marques de 5% qui est en jeu. Leclerc chiffre l'inflation réclamée à 400 millions d'euros pour son enseigne, 2 milliards pour le pays.

Du côté du gouvernement, on fulmine. Bercy et le ministère de l'Agriculture voulaient croire que la signature de la charte, en novembre, constituait un moment "historique". Raté, donc. Pire, les promotions à -70% d'Intermarché ont sonné comme un camouflet pour Emmanuel Macron, qui présentait ses vœux et ses promesses au monde agricole sans savoir qu'au même moment les clients se bousculaient en magasins pour des pots de Nutella.

Les Mousquetaires ont droit, depuis, à une enquête de la répression des fraudes pour vérifier la légalité des offres (car la vente à perte est autorisée en alimentaire si elle respecte le cadre des soldes).

Contrôles ciblés

Le 2 février, industriels et distributeurs ont une nouvelle fois été convoqués par le gouvernement. Chacun y a délivré sa vision sur l'irresponsabilité des autres. Ni le ministre de l'Économie Bruno Le Maire ni celui de l'Agriculture Stéphane Travert n'ont évidemment été capables de trancher, faute d'éléments objectifs. Tous juste ont-ils promis, une fois de plus, de faire preuve de vigilance et de diligenter des contrôles ciblés.

Les opérateurs qui n'auraient pas respecté la charte d'engagement n'encourent pas de condamnation légale, mais ils seront dénoncés auprès du public le cas échéant. On imagine mal, toutefois, le gouvernement imposer des PLV de pénitence en rayon.

Les ministres ont en revanche brandi la menace de la loi en préparation sur l'alimentation et l'équilibre des relations commerciales. Le texte en projet, présenté le 31 janvier, est peu précis sur les mesures techniques (seuil de revente à perte, encadrement des promos), dont les modalités sont renvoyées à de futures ordonnances. Bref, il est propice aux amendements et les débats promettent d'être nourris durant toute la navette parlementaire. Si les négociations commerciales en cours se révélaient décevantes, le gouvernement pourrait être amené à durcir son texte.

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