Négociations : des pratiques illégales sur la place publique
L'Ilec, qui représente les grandes marques, interpelle le gouvernement sur un niveau "jamais atteint" d'irrégularités durant les négociations avec les distributeurs. Signatures hors délai, contreparties déséquilibrées, déréférencements abusifs : la liste des griefs est longue et précise.
Dépassement de la date limite
"Cela n'était jamais arrivé par le passé. Selon les remontées de nos adhérents, 20% des accords n'avaient toujours pas été signés au soir du 29 février." Richard Panquiault, le directeur général de l'Ilec, ne décolère pas. Jamais, selon lui, la date limite de clôture des négociations annuelles n'avait été aussi peu respectée. "Les signatures se sont échelonnées jusque sur la deuxième quinzaine de mars, poursuit-il. Ce qui est illégal."
Les 75 entreprises membres de l'Ilec ("de toute taille", insiste l'association, même si on y trouve surtout de grands industriels) représentent environ la moitié du chiffre d'affaires réalisé à marque nationale en GMS.
"Ce qui caractérise la relation industrie-commerce, ce sont les pratiques illicites des distributeurs et leur impunité, enchaîne, virulent, le représentant des industriels. La DGCCRF est vitale pour faire respecter la loi. Elle est utilisée, mais pas assez au regard de la vitesse à laquelle se dégrade la situation. Nous avons écrit au ministre de l’Économie pour lui signaler les irrégularités qui ont entaché les négociations 2016, nous attendons sa réponse."
Déréférencements abusifs
Pour Richard Panquiault, la position des enseignes, trop souvent, n'a pas varié du début à la fin des négociations, restant sur les mêmes exigences de baisses tarifaires.
"Ce ne sont même plus des négociations, se désole-t-il. Les acheteurs obtiennent des accords sous la contrainte, après des arrêts de commandes ou des déréférencements." Tout comme le dépassement de la date limite des négos annuelles, les déréférencements abusifs, sans respect des préavis contractuels, sont interdits.
"Pour se couvrir, les distributeurs parlent "d'arbitrages catégoriels", de "ruptures informatiques", rapporte l'Ilec. En magasin, les affichettes de ruptures pointant les "hausses inacceptables" des fournisseurs ont disparu parce qu'elles soulignaient la démarche volontaire des enseignes. Mais les déréférencements, eux, sont toujours là : ils ont touché plus de 30% de nos adhérents cette année !"
Pas de progression dans les plans d'affaires
Troisième irrégularité qui a entaché les négos 2016, selon l'association : les compensations déséquilibrées proposées par les distributeurs, au regard des baisses de prix demandées. 8 adhérents de l'Ilec sur 10 ont consenti une baisse de tarif, mais le plan d'affaires signé, dans plus de 60% des cas, ne prévoyait aucune progression par rapport à l'année précédente.
Sans surprise, les nouvelles prestations vantées par les alliances entre distributeurs laissent froids les industriels. "Les niveaux de diffusion des grandes marques étant déjà excellents, on ne voit pas très bien en quoi "avoir accès à l'ensemble du parc" représente un progrès", commente-t-on à l'Ilec.
"Quand, au sein d'une alliance, les distributeurs comparent leurs conditions passées, le moins bien servi ne devrait pas pouvoir réclamer un alignement en sa faveur s'il n'est pas en mesure de proposer les mêmes contreparties que son partenaire, rapporte Richard Panquiault. On touche là du doigt une pratique anticoncurrentielle."
La remarque n'est pas innocente. L'Ilec aimerait en effet beaucoup que l'Autorité de la concurrence intervienne elle aussi dans les négociations annuelles, aux côtés de la DGCCRF ("un deuxième gendarme ne serait pas de trop").
C'est pour cette raison, également, que les grands industriels sont favorables au projet de loi redéfinissant l'abus de dépendance économique. Pas parce que des PME pourraient se faire évincer des rayons par des distributeurs méfiants, au profit des grandes marques, comme le craint la Feef. Mais parce que si l'abus de dépendance économique était enfin clairement défini par la loi, l'Autorité de la concurrence pourrait s'en saisir et s'inviter ainsi dans les coulisses des négos.