Loi agriculture : une taxe pour redistribuer les marges des enseignes ?
La loi sur les relations commerciales va limiter la guerre des prix, sans garantie que les marges gagnées par les enseignes soient répercutées aux agriculteurs. Une nouvelle taxe, pour redistribuer ces fonds, est à l'étude. Linéaires fait le point sur la loi après sa première lecture à l’Assemblée nationale.
Les députés ont adopté le 31 mai une première version du projet de loi, de son nom complet "pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous".
Ce texte se veut l’aboutissement des états généraux de l’alimentation menés en 2017, avec comme principales ambitions l’amélioration des revenus des agriculteurs et la promotion d’une alimentation plus saine.
La loi en préparation prévoit notamment deux dispositifs censés freiner la guerre des prix entre enseignes. Le seuil de revente à perte des produits alimentaires est revu à la hausse (+10%) pour tenir compte des coûts de distribution en sus des coûts d’achat. Les promotions sur les mêmes produits seront plafonnées par ordonnance (34% de rabais maximum, sur au plus 25% des volumes, selon les engagements pris par le gouvernement).
Ces mesures, mécaniquement, vont accroître les marges de la distribution. Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, fait le pari que les enseignes, en retour, paieront plus généreusement les agriculteurs à qui elles achètent des produits bruts et négocieront moins durement avec les industriels, qui eux-mêmes répercuteront les gains obtenus auprès des producteurs.
Un postulat très optimiste, pour ne pas dire naïf. Le débat fut d’ailleurs vif entre députés sur l’impact attendu de ces mesures.
Un fonds de modernisation des exploitations
Poussé dans ses retranchements, le rapporteur du projet de loi Jean-Baptiste Moreau a reconnu la part d’incertitude inhérente à un tel dispositif.
"Nous n’avons effectivement aucune garantie que la marge dégagée sera versée aux producteurs, a-t-il admis. Il s’agit d’une expérimentation sur deux ans, dont il faudra mesurer les résultats."
Et pour calmer ses opposants, il a évoqué l’éventualité surprise d’une nouvelle taxe.
"La mise en place d’un fonds de modernisation des exploitations, financé par des prélèvements sur les plus-values réalisées tant par les distributeurs que par les industries agroalimentaires grâce au rehaussement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions, est un mécanisme à étudier, a lancé le rapporteur. Nous allons y travailler dans les mois qui viennent."
Les débats reprendront maintenant le 26 juin, date de démarrage de la première lecture au Sénat.
Les principales mesures de la loi adoptée en première lecture
- Les prix agricoles seront construits à partir d’indicateurs de coûts de production (définis par les interprofessions), des prix du marché et de critères qualitatifs (cahier des charges origine, etc.)
- Les contrats d’achat non conformes au cadre légal seront sanctionnés à hauteur de 2% du CA du dernier exercice clos
- Le médiateur des relations commerciales, qui aurait pu rendre publics les dossiers litigieux dont il était saisi ("name and shame") dans la première version du texte, ne le fera finalement qu’avec l’accord des deux parties (autrement dit jamais…) ; mais il pourra en revanche directement saisir un juge
- Les sanctions seront plus dissuasives à l'encontre des sociétés (industriels comme distributeurs) qui ne publient pas leurs comptes, dès le premier manquement
- La loi encourage la signature d’accords tripartites, baptisés "conventions interprofessionnelles alimentaires territoriales", qui répartissent de façon transparente la valeur entre producteurs, industriels et distributeurs
- Le seuil de revente à perte des produits alimentaires, au stade de la distribution, augmente mécaniquement de 10%
- Les promotions seront limitées en valeur et en volume par ordonnance
- Le mot "gratuit" et ses dérivés sont interdits dans la mise en scène des promotions, parce qu’il serait "dénigrant" pour la valeur des produits
- Les alliances à l’achat devront être notifiées plus tôt à l’Autorité de la concurrence (4 mois au préalable), avec un dossier plus fourni, pour lui permettre le cas échéant de prendre des mesures conservatoires
- Les dénominations associées aux produits d’origine animale ne peuvent plus être utilisées pour des aliments contenant "une part significative" d’ingrédients d’origine végétale (il devient par exemple interdit de parler de "steak" de soja ou de "saucisse" végétale)
- Pour les denrées alimentaires animales ou d’origine animale, le mode d’élevage, la mention "nourri aux OGM" le cas échéant et l’origine géographique seront affichées de façon obligatoire à partir de 2023
- Pour les fruits et légumes frais, le nombre de traitements par des produits phytosanitaires sera mentionné de façon obligatoire à partir de 2023
- Pour les miels, tous les pays de récolte devront être précisés
- Les dates de durabilité minimum (DDM, ex-DLUO) seront réévaluées et les distributeurs devront assouplir leurs conditions d’achat sur ce critère
- Pour les produits vendus sur les sites de e-commerce et les drives, toutes les mentions légales obligatoires devront être affichées "de façon explicite" (ce qui doit exclure une simple photo des packs, même lisible)
Les amendements rejetés ou abandonnés
Plus de 2300 amendements au projet de loi ont été étudiés par les députés. Et 2100 n’ont pas été retenus. Aperçu de quelques propositions qui auraient pu être intégrées au texte législatif.
Sur la défense des agriculteurs :
- sortir les produits alimentaires du cadre des négos et de la convention unique
- imposer des prix planchers agricoles
- supprimer la référence aux "prix de marché" dans le calcul des prix agricoles
- en cas de contrats non conformes, exempter systématiquement les producteurs de sanctions
- imposer un coefficient multiplicateur aux distributeurs à partir des prix agricoles
- augmenter le seuil de revente à perte des distributeurs de 25% sur les produits agricoles
- interdire les alliances à l'achat qui pèseraient plus de 20% du marché
- taxer les fruits et légumes importés durant la pleine saison de la production française
- indiquer obligatoirement en rayon si les fruits et légumes sont "de saison" ou pas
- imposer un pourcentage minimum de surface, en magasins, consacré aux produits locaux
Sur l'alimentation saine :
- plafonner à 2% le taux d'acides gras trans (hydrogénés) dans les aliments
- interdire l’usage du glyphosate
- indiquer obligatoirement si les fruits et légumes ont été traités par ionisation
- rendre obligatoire la publication d'un indice d'empreinte environnementale sur les produits alimentaires
- rendre obligatoire la mention de l'origine géographique des ingrédients autres que ceux d'origine animale (céréales, fruits, légumes, etc.)
- interdire la publicité pour les aliments trop gras, trop salés, trop sucrés ciblant les moins de 16 ans
- interdire la publicité pour la "malbouffe" lors d'événements sportifs
- imposer l'affichage du Nutri-Score dans les publicités
- sanctuariser l'appellation "chocolatine" et d'autres noms d'usage régionaux
Sur le bien-être animal :
- interdire la castration à vif des porcelets
- interdire l'élevage de lapins en cages
- programmer l'interdiction du broyage des poussins, canetons et oisons
- interdire les "fermes usines"
- interdire l'abattage des volailles par électro-narcose et l’abattage des porcs au gaz
- imposer la surveillance vidéo dans les abattoirs