Un tour d’horizon des pratiques en vigueur dans les enseignes
Les hard-discounters défendent leur rentabilité
Deux ouvertures, deux fermetures. Tel est, depuis janvier, le maigre bilan affiché par Lidl sur l’Hexagone en termes d’accroissement de son parc de magasins. Après une année 2003 qui l’avait vu ouvrir 80 points de vente, le leader français du hard-discount (1 116 unités au total) semble donc ralentir la cadence. Aucune baisse de régime, en revanche dans le rythme d’expansion d’Aldi qui, entre janvier et avril, a créé 18 magasins. Ce qui lui permet, avec maintenant 602 unités au compteur, de repasser devant Ed (596). La filiale du groupe Carrefour a pourtant annoncé sa volonté de disposer de plus de 680 magasins d’ici à la fin de l’année.
D’ici 2008, le maillage du territoire sera terminé
L’année écoulée a marqué un tournant dans les performances du secteur hard-discount. Hormis Leader Price et Netto (voir encadré), dont les ventes à magasins comparables sont en hausse de plus de 7 %, les gains de chiffre d’affaires à périmètre commercial équivalent sont beaucoup plus limités qu’ils ne l’étaient jusque-là. Conséquence : la prise de part de marché du circuit hard-discount n’est, principalement, plus alimentée que par l’augmentation des surfaces exploitées. L’expansion prend donc un caractère encore plus stratégique.
En matière d’ouverture, les enseignes mettent en oeuvre des stratégies bien différentes. Si Lidl a longtemps fait le siège des CDEC en déposant des montagnes de dossiers, Aldi, pour sa part, préfère de plus en plus faire l’impasse sur les demandes d’autorisation et se contenter, dans un premier temps, de magasins de 299 m2. Il semble en effet plus facile d’obtenir des feux verts pour les agrandissements que pour les créations nettes. Bien que plus sélectif sur la qualité des sites, Leader Price est paradoxalement l’enseigne qui, proportionnellement à ses demandes, est la plus recalée en commission. L’an passé, 70 % des mètres carrés sollicités lui ont été refusés par les CDEC. Pour 2004, la direction du groupe Casino, entend néanmoins ouvrir 35 unités.
Au rythme où se développent les magasins, il est probable que d’ici 2008, le territoire aura été complètement quadrillé. Il reste donc encore quatre années d’expansion. Une période que les Mousquetaires entendent mettre à profit pour amener Netto dans le Top 3 en nombre de points de vente exploités. « Nous avons l’ambition de disposer, à terme, de 1 000 unités », explique-t-on à la direction de l’enseigne. Il n’empêche que pour l’heure, l’expansion s’est effectuée à un rythme beaucoup plus lent que ce qui avait été annoncé initialement.
Trois nouvelles centrales pour Aldi
L’expansion ne conditionne pas seulement la croissance des ventes. Elle a un impact majeur sur la rentabilité des opérations selon que les nouvelles implantations se fassent ou non à proximité d’entrepôts existants. Distant de plus de 450 kilomètres de l’entrepôt d’Ablis, en région parisienne, le magasin Aldi de Quimperlé (Finistère) pèse, on s’en doute, sur les résultats de la centrale régionale. D’ailleurs, quatre ans après son ouverture, elle ne dégage toujours pas de bénéfices.
En fait, selon les sources de Linéaires, seules trois des huit sociétés régionales Aldi affichent un résultat suffisamment positif pour permettre de reverser une partie des bénéfices aux salariés dans le cadre de l’accord de participation. Ablis, pourtant, approvisionne 90 magasins, un record qui ne va pas sans une évidente surchauffe, logistique et sociale. L’ouverture programmée d’un nouvel entrepôt, à Honfleur, devrait lui permettre de se délester de ses magasins les plus à l’ouest. La logique est la même avec la création d’une base à Reims, destinée à soulager les entrepôts de Cuincy (Nord), Ennery (Moselle) et Dammartin (Seine-et-Marne). La région lyonnaise va également être dotée d’une nouvelle plate-forme.
Chez Ed, la stratégie est différente. Le nouveau schéma directeur fixe un objectif de 150 magasins par plate-forme. Parallèlement, nombre des responsabilités opérationnelles remontent d’un cran, passant du chef de magasin au chef de secteur, ou du chef de secteur au chef des ventes. Des évolutions qui visent à se rapprocher des méthodes de Lidl (voir encadré).
Les Mousquetaires, pour leur part, cherchent à tirer le meilleur profit logistique de la stratégie multi-formats du groupement. L’approvisionnement des magasins Netto est en effet assuré, pour l’essentiel, par les mêmes entrepôts qui livrent les Intermarché. Seule exception : la base de Mauchamps (Essonne) et les deux plate-formes « prestées » de Portet-sur-Garonne (Haute-Garonne) et Miramas (Bouches-du-Rhône), dédiées à Netto.
Critère essentiel : le CA par heure travaillée
De la même manière qu’un industriel cherche à faire tourner au maximum ses lignes de fabrication pour écraser ses charges de structures, il est stratégique, pour un hard-discounter de saturer ses entrepôts. C’est là que se joue l’essentiel de sa rentabilité et de sa compétitivité. A la différence des GMS classiques, dans le modèle succursaliste tel qu’il a été importé d’Allemagne, le magasin spécialisé sur les premiers prix n’est pas à proprement parler un centre de profit, plutôt une sorte de satellite, rattaché à la centrale régionale qui, elle, fait figure d’entité économique à part entière.
Un autre critère contribue à rapprocher le modèle économique des hard discounters de celui des industriels : l’augmentation de la productivité horaire des salariés. C’est même devenu le paramètre essentiel pour apprécier l’exploitation d’un point de vente. La plupart des enseignes rapportent le chiffre d’affaires au nombre total d’heures travaillées par l’ensemble du personnel. Chez Lidl, les magasins sont considérés comme rentables à partir de 300 euros par personne et par heure. « Une moyenne qui masque pourtant des écarts importants, selon le nombre de passages en caisse, le montant des paniers moyens, etc. », commente un délégué syndical.
Chez Ed, les objectifs dont dépendent les primes des responsables de magasins varient en fonction des tranches de chiffre d’affaires hebdomadaire. Par exemple, un point de vente qui réalise 70 000 euros par semaine se verra assigner un objectif de 270 _ de VHP (valeur horaire par personne).
Déresponsabilisation croissante
Aldi réalise un pilotage au jour le jour de la productivité. L’accord d’intéressement signé avec les syndicats entérine un objectif fixé à 560 euros par heure. S’il est atteint, il déclenche une prime de 175 euros par mois. Autrement dit, avec un CA de 10 000 _/jour, le responsable de magasin doit tenir son équipe en-dessous de 18 heures travaillées. « Pas évident depuis l’introduction des caisses scanner !», fait remarquer un élu au comité d’entreprise. Auparavant, les caissières qui connaissaient par cœur les 600 codes articles à trois chiffres parvenaient à passer plus de 4 500 produits à l’heure. Le nouveau système ne permet pas d’aller aussi vite. Avec ce système qui tient compte des horaires travaillés, nombre de responsables de magasin réfléchissent en outre à deux fois avant de déclarer des heures supplémentaires…
A la productivité horaire, Lidl ajoute un critère censé impliquer le personnel dans la lutte contre la démarque : les écarts d’inventaires. Ils doivent être inférieurs à 1,5 %. Sinon, c’est tout simplement la prime de chiffre d’affaires qui est perdue. Ces inventaires présentent la particularité d’être réalisés … mensuellement. Une vraie contrainte pour le personnel. « Eux au moins, ils savent où ils en sont », note pourtant un chef de magasin Ed qui déplore, lui, ne plus avoir accès à ses états de stocks. Et qui, à l’instar de nombre de ses collègues, dans la plupart des enseignes, ne peut que constater la déresponsabilisation croissante des responsables de points de vente.
Netto et Leader Price, le vent dans le dos
Avec un chiffre d’affaires en hausse de 18,4 % en 2003, Netto est l’enseigne de hard discount qui a enregistré la plus forte progression de ses ventes sur l’année écoulée. Surtout, la structure de cette croissance montre que 7,1 points ont été obtenus à magasins comparables. Sur ce même critère, qui permet d’isoler l’impact des ouvertures, Leader Price affiche + 7,4 %. Deux très bons résultats qui contrastent avec le ralentissement des augmentations de chiffre d’affaire enregistré par les autres enseignes à périmètre constant.
Concernant Leader Price, associée à Franprix, l’enseigne dégage une rentabilité impressionnante pour le secteur. En 2004, sa marge d’exploitation s’est établie à 8,1 %, soit, en valeur absolue 313 millions d’euros, autrement dit 20 millions d’euros de plus que les hypermarchés Géant.