La loi Egalim 2 va-t-elle renverser les négos ?
Le nouveau projet de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs déborde du cadre initial. Les industriels devront montrer davantage de transparence en négos et les distributeurs ne pourront plus discuter aussi facilement les prix. Linéaires fait le point.
Les sénateurs vont-ils détricoter ce que les députés ont voté ? Le projet de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, adopté le 24 juin en première lecture à l’Assemblée nationale, doit maintenant passer au tamis de la chambre haute. La future loi, familièrement baptisée Egalim 2, cherche à corriger les faiblesses du dispositif né des états généraux de l’alimentation. Mais en l’état actuel des débats, certains articles dessinent un nouveau cadre pour les négociations commerciales, et ne concernent plus seulement les revenus des agriculteurs.
L’augmentation du seuil de revente à perte et les négociations commerciales "historiques" de 2020 (pour la première fois depuis longtemps, les industriels avaient obtenu de la part des distributeurs une petite hausse de tarifs) n’avaient produit que peu de résultats probants. Malgré des prix plus chers en rayon, les agriculteurs n’avaient finalement pas beaucoup vu la couleur du ruissellement qui leur était promis.
Ping-pong incessant
Le manque d’organisation de l’amont est une première explication. De nombreuses filières n’ont pas su construire et imposer des indicateurs de référence servant à déterminer des coûts de production agricoles. Le ping-pong incessant des industriels et des distributeurs, s’accusant mutuellement de mauvaise foi et d’opacité, n’a pas non plus aidé à avancer.
Le projet Egalim 2, soutenu dans ses grandes lignes par le gouvernement, encadre davantage les contrats passés entre les agriculteurs et leurs premiers clients. Engagements pluriannuels, indicateurs de référence plus précis, révisions automatiques des prix en fonction des cours des matières premières doivent mieux sécuriser les producteurs.
Dans la chaîne agroalimentaire, ensuite, ce prix payé aux agriculteurs devient un élément non négociable du tarif. Si le lait représente par exemple 15% des coûts de fabrication d’un produit fini, ces 15% resteront intouchables dans les box de négos des enseignes. Charge à l’industriel de détailler en toute transparence le poids de chaque ingrédient agricole entrant dans la composition de son aliment.
L'époque de la loi Galland
Mais les députés ont peut-être, aussi, fait preuve d’un certain excès de zèle. Ils ont voté un article supplémentaire prévoyant que pour tout produit contenant au moins 25% d’ingrédients d’origine agricole, le tarif global de l’industriel s’imposerait au distributeur comme base de la négociation. Toute remise accordée, ensuite, devant être justifiée par une contrepartie claire.
Ce cadre rigide rappelle l’époque où les relations commerciales étaient régies par la loi Galland. Les distributeurs faisaient alors gonfler les budgets de marges arrière en espérant obtenir plus d’avantages que la concurrence, sans que le consommateur en bénéficie sur les étiquettes.
Le retour à une négociation plus souple des conditions de vente des industriels, à la faveur de la loi sur la modernisation de l’économie, avait eu le mérite de rebasculer "vers l’avant" le résultat des négos, en redistribuant du pouvoir d’achat aux Français. Un calcul politique porteur pour le président de l’époque, Nicolas Sarkozy. Mais ce changement avait aussi donné le départ d’une nouvelle guerre des prix, avec ses surenchères d’année en année.
"Là, c'est moins bien"
"Nous sommes favorables à la non-négociabilité des matières premières agricoles, c’est le premier point qui va sécuriser les choses, a commenté Dominique Schelcher, président de Système U, le 30 juin sur BFM Business. Par contre, j’entends que cette non-négociabilité pourrait aller au-delà des matières agricoles. Ce qui voudrait dire que demain les prix ne se négocieraient plus. Là, c’est moins bien."
Avec son sens de la litote, le distributeur dénonce un article qui fait bondir, en réalité, toute la profession. "Les lois, en France, ce sont des balanciers, a poursuivi le dirigeant. Une fois elles sont favorables à une partie, une autre fois à l’autre partie." Faisant notamment allusion à la loi Egalim 1, qui avait augmenté le seuil de revente à perte des enseignes et plafonné les promotions, "forçant" les distributeurs à augmenter leurs marges.