L'Autorité de la concurrence étrille l'ordonnance sur les prix

17 décembre 2018 - B. Merlaud

L'Autorité de la concurrence étrille l'ordonnance sur les prix

Le gouvernement, qui avait saisi pour avis l'Autorité de la concurrence sur la hausse du seuil de revente à perte et l'encadrement des promos, ne doit pas être déçu. Les "sages" ne sont pas du tout convaincus de l'effet positif des deux mesures et le font savoir dans un avis très documenté.

L'Autorité n'y va pas par quatre chemins. "Les deux dispositifs […] reposent sur une élévation des marges de la grande distribution au détriment des consommateurs finaux plutôt que sur une modification de la relation entre producteurs et distributeurs."

"Alors qu’ils sont censés, poursuit l'institution, remédier à des préoccupations ciblées, spécifiquement issues du faible pouvoir de négociation de certains producteurs face à la grande distribution ou à certains transformateurs."

Dit autrement, pour l'Autorité de la concurrence, le gouvernement tape à côté avec ces deux mesures, qui vont surtout profiter à la grande distribution.

Avis "très réservé" ou "défavorable"

Petite cruauté supplémentaire (si c'était nécessaire), c'est le caractère expérimental et temporaire de l'ordonnance qui, perçu comme une circonstance atténuante, retient la plume des sages.

"Le dispositif n’est destiné à être en vigueur que pendant deux années, conclut le rapport. C’est la raison pour laquelle l’Autorité de la concurrence émet un avis très réservé à la fois sur le relèvement du seuil de revente à perte et sur l’encadrement des promotions en valeur."

"Concernant en revanche l’encadrement en volumes, poursuit le texte, l’Autorité de la concurrence considère que la mesure comporte trop de risques compte tenu de l’objectif affiché, et émet donc un avis défavorable sur cette mesure."

L'analyse menée par l'institution n'est pas très surprenante. Elle confirme toutes les objections formulées depuis le vote de la loi quant à l'efficacité directe de ces dispositifs sur le revenu des agriculteurs.

La hausse du seuil de revente à perte

Sur le relèvement du seuil de revente à perte, d'abord. Selon les arguments avancés par le gouvernement, la hausse de 10% du SRP, qui va augmenter les prix publics de quelques grandes marques très bataillées, doit redonner un volant de marges aux distributeurs pour leur permettre d'augmenter le prix d'achat d'autres références, à commencer par celles issues des produits agricoles français.

La hausse de prix induite sur les grandes marques, souvent multinationales, détournera aussi une partie des consommateurs vers d'autres références, un mouvement là encore susceptible de profiter aux agriculteurs français et aux PME.

L'Autorité de la concurrence n'adhère à aucune de ces deux théories.

Une "bonne volonté" sujette à caution

"Le raisonnement proposé par le gouvernement n’explicite pas les mécanismes qui inciteraient les distributeurs à répercuter les bénéfices supplémentaires résultant du relèvement du SRP", s'étonne d'abord le rapport. Rien non plus, dans la loi et son ordonnance d'application, ne poussera ensuite les industriels éventuellement mieux traités en négos à mieux rémunérer à leur tour les producteurs.

"Les auditions et les réponses aux questionnaires ont révélé que la plupart des acteurs, et notamment la FNSEA, la confédération paysanne et la FEEF, qui représentent une partie des acteurs que le gouvernement souhaite protéger à travers ces mesures, doutent de la concrétisation de ce transfert de valeur dont ils disent qu’il reposerait sur la seule "bonne volonté", selon eux sujette à caution, de l’ensemble des distributeurs et des fournisseurs", enfonce l'Autorité.

Le rapport pointe aussi le fait que les éventuelles nouvelles péréquations de marges et les reports de consommation ne seront pas fléchés vers les produits tirés de l'agriculture française, mais pourront tout aussi bien profiter à d'autres références de marques internationales. Sans parler de la complexité, durant les négos, qui va consister à organiser "en temps réel" le transfert des gains tirés du SRP vers les fournisseurs ciblés.

Contournements possibles du dispositif

Le texte évoque également le besoin pour les enseignes de se trouver de nouveaux produits d'appel et le risque de les voir notamment se tourner vers les productions agricoles pour améliorer leur image prix.

L'Autorité de la concurrence s'inquiète, enfin, des contournements possibles du dispositif, qui le rendraient sans effet. Puisque le SRP est calculé sur la base du prix d'achat triple net, il ne tient pas compte ni des "nouveaux instruments promotionnels" (bons d'achat différés, lots virtuels, etc.) ni des avantages consentis aux alliances internationales de distributeurs et à leurs centrales. Le rapatriement d'une partie de ces budgets dans des formes intégrables au triple net est une tentation qu'il est légitime d'anticiper de la part des enseignes soucieuses de minorer l'effet de la hausse du SRP.

L'encadrement des promos trop confus

Le plafonnement des promotions à 34% de rabais et la limite fixée à 25% des ventes annuelles sous promo sont censés apaiser la guerre des prix, redonner des marges aux acteurs pour qu'ils les répercutent aux agriculteurs et ne plus brouiller les repères prix des consommateurs, afin qu'ils se réconcilient avec les tarifs en fond de rayon.

Là encore, l'Autorité de la concurrence n'est pas convaincue. Elle juge la mesure confuse, sujette à trop d'interprétations possibles et y voit trop d'effets secondaires négatifs mal évalués.

"À nouveau, aucun mécanisme incitatif ou coercitif ne garantit une redistribution de la hausse éventuelle des profits", regrette d'abord le rapport.

Pour l'Autorité, ensuite, il est impossible de définir légalement le prix de référence sur lequel appliquer les 34% de rabais. Ce prix sera donc "fixé sous la responsabilité de l’annonceur, sans règle particulière", ce qui n'exclut pas des "modulations" opportunistes.

Des distorsions de concurrence

Faute de cadre précis à ce stade, également, la porte reste ouverte à un plafonnement des promos en volume à l'échelle d'un contrat (donc d'un assortiment global) et non référence par référence. Une distorsion qui, si elle était confirmée, donnerait un avantage aux grands industriels, dont les gammes sont larges, par rapport aux petits fournisseurs, ceux-là mêmes qui ont le plus besoin de protection dans les négociations commerciales.

De la même façon, la loi et son ordonnance ne s'appliquent pas clairement aux distributeurs installés à l'étranger ou à leurs centrales internationales. Ce qui là encore crée un risque de distorsion de concurrence.

"L’ensemble des éléments concourant à l’application du texte (qu’il s’agisse du prix de référence, du type de promotions concernées, ou encore de l’application territoriale) font référence à des notions qui semblent pouvoir être interprétées de manière différente selon les acteurs, condamne le rapport. Ce manque de lisibilité peut conduire le dispositif à être peu efficace, générateur d’incertitudes pour les acteurs, et facteur d’accroissement du coût administratif des contrôles."

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