L'ADN des innovations hors normes
En compilant ses données européennes, Nielsen dresse un palmarès des innovations les plus performantes. Les critères sont drastiques et la liste comporte peu d'élus (18). Le résultat est frappant : ces gros succès ont en commun de capitaliser avant tout sur leur valeur d'usage, autrement dit le rôle qu'ils jouent dans le quotidien des consommateurs.
C'est ce que Nielsen appelle la "théorie de l'emploi" : "l'idée est que ce qui amène une personne à consommer quelque chose n'a pas de lien avec ses qualités propres (par exemple ses caractéristiques socio-démographiques) ni avec les attributs du produit, mais bien avec les conditions d'utilisation, de consommation, du produit en question".
"Les innovations hors normes sont au final des produits qui répondent à certaines problématiques consommateurs d'une manière distinctive et irrésistible, complète Virginie Gorgeon, vice-présidente innovation chez Nielsen France. Ces produits communiquent simplement leur promesse, permettant aux consommateurs de faire un lien clair entre leur besoin initial et le nouveau produit."
"Les innovations gagnantes peuvent finalement expliquer très facilement leurs bénéfices à un enfant de huit ans", résume la spécialiste.
Pour innover, estime Nielsen, il ne faut donc pas tant s'inspirer des succès existants qu'observer les moments de non-consommation, les compromis auxquels les foyers doivent se résoudre dans leur quotidien. Et répondre à ces besoins inassouvis, parfois à peine formulés.
Les 18 lancements retenus dans l'étude sont les seuls, en Europe (en tout cas pour la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et la Turquie), à avoir réalisé un minimum de 10 millions d'euros de ventes la première année (7 M€ en Espagne) et à avoir reconduit au moins 90% du chiffre d'affaires l'année suivante.
Il va sans dire que les innovations doivent aussi être significatives, et aller au-delà d'une simple reformulation ou d'un changement mineur de produit.
"Trois nouvelles références sur quatre ne parviennent pas à générer 150.000 euros de ventes lors de leur première année d'activité et sont souvent retirées des rayons par les distributeurs", rappelle Marcin Penconek, vice-président innovation practice de Nielsen en Europe.
Les gagnants du "Breakthrough Innovation Report" de Nielsen pour 2015 :
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Parmi les 18 lancements hors normes, la moitié exactement sont des produits alimentaires (les autres sont dédiés au soin du corps ou à l'entretien de la maison). En voici deux exemples, particulièrement frappants.
Les "Marvellous Creations" de Cadbury
La conception des "Marvellous Creations" de Cadbury au Royaume-Uni, ainsi, est née du constat suivant : la notoriété et la popularité des tablettes de chocolat au lait de la marque était optimale, mais le produit n'était consommé que dans des conditions "ordinaires".
Dès qu'il s'agissait, pour les mères de famille, de créer un moment particulier avec leurs enfants, de fêter les petits événements du quotidien (la fin de la semaine, un succès en sport ou à l'école), la tablette de chocolat classique était délaissée. Parfois au profit d'une simple glace à la vanille : certes pas plus sophistiquée, mais plus apte à créer la surprise.
Cadbury a donc réagi en imaginant une collection spéciale, dans laquelle le fameux chocolat au lait est garni d'ingrédients aux saveurs enfantines ou régressives : bonbons pétillants, cola, etc.
Les familles se sont tout de suite approprié la nouveauté, qui remplissait parfaitement son rôle. Résultat, rapporte Nielsen : un chiffre d'affaires de 46 millions de livres sterling la première année !
Le sirop à emporter de Robinsons
Toujours au Royaume-Uni, Robinsons (Britvic), leader des sirops, s'inquiétait de voir le marché stagner. Il est parti d'une frustration des consommateurs (le sirop ne s'utilise qu'à la maison) pour lancer un concept de petit format portable, qui allait se révéler en phase avec la croissance, par ailleurs, du marché des eaux en bouteille.
Et puisque les consommateurs, lors des études test, imaginaient pouvoir glisser le sirop dans un sac comme on emporte un rouge à lèvres, le fabricant a vite renoncé à proposer une petite bouteille, pour mettre au point un flacon souple à presser, permettant d'envoyer, bien droit et sans éclaboussure, le sirop au fond d'une bouteille d'eau minérale.
Aucun détail n'a été négligé dans la conception de ce nouvel objet. Jusqu'au bruit que fait le flacon quand on le referme, qui devait rassurer sur l'étanchéité !
Les codes esthétiques de la marque ont aussi été revus, plus adultes et premium, afin que les utilisateurs exhibent sans réticence le produit.
Là encore, les consommateurs ont adoré, même si ce sirop était finalement vendu deux fois plus cher au litre que les bouteilles classiques de la marque.
Le rapport complet de Nielsen (en anglais) est consultable ici gratuitement.