Le ministère ne veut plus rembourser les sommes prélevées sur 2001-2003
Equarri-taxe : Bercy joue la montre
«Ce sont clairement des gesticulations destinées à gagner du temps car sur le fond, Bercy sait pertinemment que ces sommes indûment prélevées, il faudra bien finir par les rembourser aux distributeurs ». Cet avocat fiscaliste qui conseille l’un des principaux groupes français de distribution ne fait pas mystère de son analyse suite au surprenant revirement opéré par le ministère de l’économie et des finances dans le dossier de l’équarri-taxe. L’annonce de la volte-face gouvernementale remonte au 8 novembre.
Le Trésor, effrayé par le dossier de Carrefour
Ce jour-là, par le biais d’un communiqué, les services de Nicolas Sarkozy font valoir que, sur la base d’une nouvelle interprétation juridique, l’Etat ne se sent finalement plus tenu de reverser aux enseignes les montants collectés entre 2001 et 2003 mais seulement ceux prélevés de 1997 à 2000. Autrement dit, Bercy avait mal lu l’avis rendu il y a maintenant plus d’un an par la Cour de Justice des Communautés européennes. Un avis sur lequel s’était pourtant fondée la Cour d’Appel de Lyon, puis le Conseil d’Etat, pour obliger l’administration à reverser l’argent aux distributeurs.
L’argumentation de Bercy s’appuie sur le fait qu’à partir de 2001, consécutivement aux changements portés à la loi de finances, « la nouvelle taxe sur les achats de viande est devenue un impôt du budget de l’Etat et qu’à ce titre, elle ne peut être regardée comme constitutive d’un régime d’aide d’Etat ». Ce qui avait précisément motivé le rappel à l’ordre signifié par la Cour du Luxembourg. Le Ministère estime donc qu’entre 2001 et 2003, la taxe collectée était parfaitement en règle avec le droit communautaire en vigueur.
Très rapidement, les instructions ont été données aux services fiscaux pour, d’une part, mettre un terme aux dégrèvements d’après 2001 et, d’autre part, régulariser la situation des entreprises qui avaient déjà touché l’intégralité des remboursements réclamés. Dans les faits, l’étonnant revirement des services du budget a coïncidé avec l’arrivée du dossier Carrefour devant la direction du Trésor de Pantin (93). L’administration venait de prendre pleinement conscience qu’elle allait devoir verser près de 400 millions d’euros au groupe de Daniel Bernard.
Une action purement dilatoire
Deux éléments ont semble-t-il alors motivé la décision du ministère. Tout d’abord, d’évidents problèmes de trésorerie. Ce n’est pas parce que le collectif budgétaire 2004 fait apparaître un surplus de 7 milliards que la direction du trésor a, pour autant, le cash nécessaire au remboursement des sommes dues aux distributeurs. Deuxième raison : la posture politique. Nicolas Sarkozy ne souhaitait pas quitter Bercy sans saisir l’occasion qui lui était offerte de montrer au contribuable son souci de ne pas jeter par les fenêtres l’argent public. Une manière de couper court aux rumeurs qui ne voyaient dans ces dégrèvements qu’un énorme cadeau à un secteur qui, lui, n’en fait pas beaucoup.
Aux yeux des experts qui suivent le dossier, l’action du ministère vise uniquement à gagner du temps. Les distributeurs s’apprêtent donc à ressaisir les tribunaux pour contester la nouvelle position de l’administration. Sur le fond, ils ne devraient pas rencontrer trop de difficultés à obtenir gain de cause. Les procédures juridictionnelles étant suspensives de paiement, les entreprises qui avaient perçu l’intégralité des remboursements n’auront pas à restituer la fraction 2001 – 2003.
Rappelons qu’avant 2001, la taxe permettait de collecter environ 100 millions d’euros par an, directement affectés, via le fonds Cnasea, au financement du service public de l’équarrissage. Sur les trois années qui ont suivi, le produit annuel de la taxe a en revanche représenté 500 millions. C’est donc cette frange qui est évidemment la plus lourde à reverser. On comprend dès lors mieux l’attitude des pouvoirs publics pour tenter d’en retarder le versement. Et tant pis si c’est le contribuable qui paie les intérêts moratoires.