Exclusif : Les familles historiques sortiraient du pacte d’actionnaires

Du rififi dans l’actionnariat Carrefour

7 mai 2004 - Florent vacheret

Solidaires. Sur le papier et jusqu’à aujourd’hui, les actionnaires familiaux du groupe Carrefour sont officiellement solidaires. Au lendemain de la fusion avec Promodès, le 29 août 1999, ils ont signé un pacte d’actionnaires. Le groupe familial Halley, les familles fondatrices de Carrefour, Badin, Defforey et Fournier ainsi que l’Espagnol March détiennent ensemble près de 20 % des actions Carrefour et 29,2 % des droits de vote. En quoi consiste ce pacte ? Il prévoit un droit de préemption sur les titres ainsi qu’un engagement de concertation avant les assemblées générales ou en cas d’annonce d’une offre publique sur Carrefour. Sauf dénonciation, le pacte est reconduit tacitement au bout de cinq ans (fin août 2004). Mais le pacte a été dénoncé. Confirmant l’information, Carrefour se borne à évoquer le projet d’un nouveau pacte réunissant « les principaux actionnaires familiaux et Daniel Bernard », avec pour objectif de « renforcer la solidarité entre ses membres ». Lecture entre les lignes : certains actionnaires familiaux veulent reprendre leur liberté, ils ne sont plus solidaires. Selon toute vraisemblance, c’est la famille Defforey qui est à l’initiative de la dénonciation.

« Je n’ai jamais adhéré au pacte »

Interrogé par Linéaires, le « patriarche » Denis Defforey (cofondateur du groupe avec son frère Jacques et Marcel Fournier) tient un discours sans équivoque sur le sujet. « Je suis totalement opposé aux pactes d’actionnaires comme à toute mesure qui limite le pouvoir ou la liberté des actionnaires. Je n’ai jamais adhéré au pacte arrivé à échéance et n’adhérerai pas à celui que la nomenklatura actuelle cherche à susciter. » Voilà qui est clair ! Mais jusqu’à présent cette position anti-pacte – que Denis Defforey n’avait jamais exprimée publiquement auparavant - n’était pas partagée par la majorité des autres membres du bloc Badin-Defforey-Fournier. Le propre fils de Denis, Hervé Defforey, en est lui-même signataire. Pas étonnant, dans la mesure où il était, au jour de la fusion, numéro deux du groupe Carrefour, en charge des finances. Mais aujourd’hui, trois ans après sa démission surprise, Hervé Defforey prend clairement ses distances : « Etant tenu au secret par le pacte actuel, je n’ai rien à déclarer jusqu’au 29 août. En revanche, je peux dire que je ne me sens personnellement pas concerné lorsque Carrefour évoque un nouveau pacte autour des « principales familles d’actionnaires ». Son père va même beaucoup plus loin : « A ma connaissance, aucun Fournier, Defforey ou Badin n’adhérera. Sauf peut être le seul faisant partie du conseil d’administration (son cousin éloigné Jacques Badin, NDLR), donc coresponsable». Bref, il y a de l’eau dans le gaz entre Carrefour et ses actionnaires historiques. « Le nouveau pacte est toujours en phase de discussion entre les actionnaires », insiste-t-on chez Carrefour. En décodage : l’avis de Denis Defforey sur la question, fut-il fondateur et ex-président du groupe, ne préjuge pas des décisions des autres familles fondatrices.

« Le futur pacte ne servira à rien »

Quelles conséquences attendre, néanmoins, si les faits venaient à se vérifier ? La portée de cette décision est, avant tout, éminemment symbolique. Difficile de ne pas y voir une forme de crise de confiance face à la stratégie du groupe en général et à Daniel Bernard en particulier. Implicitement, Denis Defforey ne disait pas autre chose lors .
Mais il serait hâtif de conclure que tous les Defforey, Badin et Fournier vont se précipiter pour vendre, à vil prix, leurs titres Carrefour. Le moment n’est pas particulièrement bien choisi, avec un cours de bourse déprimé. Lequel n’est d’ailleurs probablement pas étranger à la tension du moment… L’action Carrefour naviguait entre 80 et 90 euros à la veille de la fusion avec Promodès, elle se « traîne » actuellement à 40 euros après une lente et continue dégringolade. Il est facile, dès lors, d’imaginer que certains descendants des fondateurs soient tentés de mieux faire fructifier leur patrimoine ou d’en disposer à leur guise. Une tentation que Denis Defforey traduisait, en janvier, dans nos colonnes : « Aujourd’hui, il y a trois générations d’actionnaires dans la famille. Certains aimeraient mieux avoir un bel appartement que des actions Carrefour. Nous sommes condamnés à ce qu’ils n’aient plus d’affectio societatis. C’est inévitable ».
Au-delà du symbole, un éclatement du pacte ne modifierait la donne qu’à la marge. De par son ampleur limitée (moins d’un tiers des droits de vote sous contrôle) l’accord de 1999 n’immunisait pas Carrefour contre une action hostile. Bien qu’a priori peu crédible, le spectre d’une OPA de Wal-Mart est régulièrement agité. Mais si le géant américain se mettait dans l’idée de croquer Carrefour, quelque 5 % de droits de vote sous contrôle en moins pourraient-ils changer l’issue finale ? « Le (futur) pacte éventuel sera un pacte de minorité, il ne servira à rien, tranche Denis Defforey. Mais taquiner le goujon permet de noyer le poisson… ». Carrefour appréciera la métaphore halieutique…

Retro : Quels liens entre les Badin, Defforey et Fournier ?

Historiquement, le lien entre les familles Badin est Defforey est double. Le grand père de Denis Defforey, Charles Defforey, s’est marié avec une certaine Clotilde Badin. Leur fils, Louis Defforey, s’est par la suite associé avec son oncle Laurent Badin (frère de Clotilde). Ils ont développé ensemble une entreprise de grossiste en épicerie, à Lagnieu, dans la vallée de l’Ain. La création de Carrefour en 1959 est née de la rencontre de Louis Defforey avec Marcel Fournier, propriétaire d’un grand magasin à Annecy. Les deux hommes pressentaient l’émergence du commerce moderne. Carrefour fut ensuite piloté pendant trente ans par un trio composé de Marcel Fournier (décédé en 1985) et des deux fils de Louis, Denis et Jacques Defforey. Au sein du bloc d’actionnaires Badin-Defforey-Fournier, les familles Badin et Defforey ont donc en commun un lointain cousinage et aucun lien de parenté avec les Fournier.

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