Ce que la loi agriculture et alimentation ne règle toujours pas
Le projet de loi sur l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire est passé en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. À l'approche des négociations commerciales pour 2019, la tension monte sur le calcul des coûts de production et sur l'encadrement des promos, qui ne sont toujours pas précisés.
Le 10 juillet dernier, députés et sénateurs réunis en commission mixte paritaire n'étaient pas parvenus à se mettre d'accord, déclenchant une nouvelle navette parlementaire avant le vote définitif du texte. L'Assemblée nationale (aux neuf dixièmes vide) a clos sa seconde lecture le 15 septembre. Le Sénat fera de même le 26 septembre, et les députés auront le dernier mot en cas de désaccords persistants.
Dans sa version actuelle, le projet de loi suscite d'abord la colère des syndicats agricoles sur la façon de déterminer les coûts de production, censés servir de socle à la construction des prix.
Le gouvernement, et la majorité parlementaire avec lui, attend des interprofessions qu'elles élaborent ces indicateurs de coûts de production. Elles sont même censées rendre leur copie au plus tard début octobre, afin de peser sur les négos 2019.
Mais l'idée, séduisante sur le papier, se heurte aux réalités du terrain. Les interprofessions, souvent, sont bien en peine de construire des indices "universels" valables pour tous les modes de production et toutes les géographies du territoire. Or, afin d'accentuer la pression, les députés viennent de supprimer dans le projet de loi la possibilité de recourir, en substitution, à l'observatoire des prix et des marges pour définir les indices attendus. Ce qui fait dire aux syndicats agricoles que l’État se défausse et laisse les opérateurs professionnels se débrouiller entre eux, comme avant.
Quel calcul des volumes promo maximum ?
Sur le sujet de l'encadrement des prix pratiqués en grande distribution, les députés ont également écarté les précisions introduites par les sénateurs au début de l'été.
Le relèvement de 10% du seuil de revente à perte est acté, mais le palais Bourbon avait aussi voté un amendement définissant directement, dans la loi, les niveaux de promotion autorisés.
À savoir des rabais limités à 34% du prix de vente en valeur, et portant au maximum sur 25% des volumes écoulés dans l'année. Les sénateurs avaient même commencé à apporter des précisions concrètes dans l'application d'une telle mesure, en expliquant que le plafonnement des volumes, en réalité, porterait au choix sur la référence précise en promo ou sur la catégorie de mêmes produits faisant l'objet du contrat (ce qui permettrait les péréquations).
Ils avaient aussi fait apparaître une exception à la règle pour les stocks de denrées présentant "un caractère périssable ou saisonnier particulièrement marqué". Une mesure réclamée par les agriculteurs eux-mêmes pour leurs opérations de dégagements, mais qui de facto déconnecterait le dispositif pour le concentrer sur les aliments industriels, peu importe dans ce cas la nature et l'origine de leurs ingrédients.
La dernière version du texte, telle qu'elle a été votée par les députés, fait disparaître toutes les seuils et leur chiffrage. Le projet de loi autorise juste le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures d'encadrement des promos, en valeur et en volume. Mais sans l'y obliger non plus.
Et le gratuit redevient interdit...
L'impact positif sur la rémunération des producteurs français, censé découler de cette mise au pas de la guerre des prix, reste toujours très hypothétique. Rien dans la loi n'apporte de contrainte quant à une éventuelle redistribution des marges ainsi gagnées par les enseignes (ou par les industriels).
Il faudrait aussi être bien naïf pour imaginer que, dans les box de négos, les budgets promo ainsi économisés ne seront pas réaffectés à d'autres opérations, compatibles avec la lettre de la loi faute d'en respecter l'esprit...
Une autre mesure, liée à la valorisation (symbolique) du travail des producteurs et des industriels, fait quant à elle l'objet d'une attention têtue de la part des députés. Voté en première lecture, écarté par les sénateurs puis réintroduit en seconde lecture à l'Assemblée nationale, un amendement interdit l'utilisation du terme "gratuit" comme "outil marketing et promotionnel dans le cadre d'une relation commerciale".
À défaut d'être d'une quelconque efficacité concrète, cette interdiction aura au moins le mérite, si elle est confirmée, de ne plus mettre en porte-à-faux les distributeurs qui profitaient des formats avec un "+gratuit" pour augmenter un peu les prix de vente, transformant la mention en promesse mensongère !