L’Etat contraint de reverser plus de deux milliards d’euros aux distributeurs

Bercy piégé par l’équarri-taxe : les détails de l'affaire

C’est Noël avant l’heure. Et le pactole se ramasse à la pelle. Pour les grandes et moyennes surfaces, c’est, grosso-modo, l’équivalent de un à deux points de résultat net additionnels qui sont actuellement en train de tomber du ciel. Fusse-t-il exceptionnel, ce produit aura, à l’évidence, un impact considérable sur la rentabilité d’un secteur qui, d’ordinaire, dépasse rarement les 3 % nets.
Pour les supermarchés, les sommes obtenues oscillent entre 100 et 300 000 euros par magasin. Du côté des hypers, forcément, l’affaire s’avère encore plus juteuse. Certains gros points de vente ont ainsi touché plus de deux millions d’euros. Dans le cas des enseignes succursalistes, on ose à peine imaginer ce que vont représenter ces sommes, une fois consolidées.

Bercy à court de trésorerie

A l’origine de cette manne extraordinaire, ni plus ni moins qu’une péripétie fiscale, comme en sont régulièrement émaillés les rapports entre les entreprises et l’administration. Cette fois, pourtant, le contentieux est d’une portée phénoménale. En cause, la taxe d’équarrissage - mise en place dans la précipitation fin 1997, en pleine crise de la vache folle - et qui vient, au terme d’un long feuilleton judiciaire, de s’avérer définitivement non conforme à la législation européenne.
Nommé début avril à Bercy, Nicolas Sarkozy aurait été informé du dossier seulement à la fin juillet. La direction des services fiscaux ayant préalablement épuisé toutes les voies de recours possibles, le ministre des Finances n’eut d’autre solution que de donner son feu vert au processus de dégrèvement. Dès la première semaine d’août, les instructions ont été transmises aux services fiscaux. Lesquels ont pu, au retour des vacances, commencer à rembourser les magasins qui en avaient fait la demande.

Les premiers virements ont été effectués début septembre et ils se sont poursuivis, un peu partout en France, tout au long du mois. Fin septembre, un vent de panique souffle soudain sur Bercy. Les lignes de crédit qui avaient été ouvertes en urgence se sont taries plus vite que prévues… Manifestement, sur les quais de Seine, on commence à avoir quelques problèmes de trésorerie. Le jeudi 30, en milieu de journée, un e-mail est envoyé dans les régions aux agents des impôts leur demandant de suspendre le traitement des dossiers.
Du coup, depuis le début octobre, c’est l’attentisme qui prévaut. En coulisses, Nicolas Sarkozy est engagé dans un bras de fer avec Hervé Gaymard, le très chiraquien ministre de l’Agriculture. Bercy souhaiterait le voir prendre sur ses propres crédits une partie des remboursements. Logique quand on sait que c’est par la rue de Varennes qu’ont transité pendant six années les fonds illégalement collectés. Maigre consolation pour l’actuel ministre du budget : l’Etat pourra tout de même récupérer un tiers des sommes par le biais de l’impôt sur les bénéfices des sociétés.

L’équivalent de l’enveloppe des « recalculés de l’Assedic »

Du côté des distributeurs, on s’est bien gardé de se féliciter à trop haute voix de ce combat gagné contre l’administration. Le risque est en effet réel que l’opinion publique fasse un amalgame maladroit avec les efforts demandés aux enseignes pour financer les baisses de prix négociées dans le cadre des accords Sarkozy. Du coup, c’est quasiment sous le manteau que circule l’information.
Entendu le 15 juillet dernier devant le Conseil d’Etat qui rendait l’arrêt Gemo (voir encadré), Maître Goulard, le commissaire du gouvernement, a fait état dans ses conclusions de 1,8 milliard d’euros de contentieux pendant devant les tribunaux administratifs ou en attente dans les services fiscaux. Dans certaines enseignes, des services juridiques qui s’étaient montrés peu revendicatifs se sont soudainement réveillés. Aujourd’hui, d’après les avocats fiscalistes qui travaillent sur les dossiers, les sommes réclamées représentent 2,2 milliards d’euros.
On se trouve donc en présence d’un effort à fournir équivalent, à titre de comparaison, à celui de l’enveloppe débloquée au printemps pour les recalculés de l’Assedic par Jean-Louis Borloo, le ministre de la cohésion sociale. Un autre ordre de grandeur, pour rester, cette fois, dans le secteur de la grande distribution : la somme correspond aux deux tiers du chiffre d’affaires annuel de Lidl en France. Ou encore aux résultats nets cumulés des groupes Carrefour et Casino pour 2003. Bref, un pactole colossal.

60 demandes rien que dans l’Aveyron

Qui plus est, l’Etat va devoir verser des intérêts moratoires sur les sommes concernées. Leur taux devrait se situer aux alentours de 11 à 12 %. Cela dit, les modalités de calcul sont d’une infinie complexité. Dans de nombreux départements - c’est notamment le cas de la Loire, où se trouve le siège du groupe Casino - on attend encore le logiciel promis par Bercy pour pouvoir calculer précisément les sommes à reverser !
Le ministère est, pour l’heure, resté très discret sur toute l’affaire. Sans doute, faudra-t-il attendre la séance des questions publiques à l’Assemblée nationale. Le gouvernement ne manquera sans doute pas, dès lors, de pointer du doigt la gestion qui fut faite de la crise de la vache folle par MM Le Pensec, puis Glavany, successivement ministres de l’agriculture des gouvernements Jospin au moment des faits. Que s’est-il vraiment passé entre 1997 et 2003 ? Les circonstances de la mise en place de la taxe, la révision de son barème, en 2001, et le refus de répondre aux demandes de Bruxelles sont autant de points sur lesquels la lumière devra être faite.
En Haute-Garonne, le compteur des services fiscaux du département affichait 100 dossiers déposés à la mi-octobre. « Et il en reste certainement encore à venir », pronostique un inspecteur des impôts. Songez que dans l’Aveyron, un département pourtant beaucoup moins doté en grandes surfaces, ils en sont déjà à soixante demandes. »
Certains distributeurs auraient souhaité pouvoir étaler sur plusieurs années l’imputation de cette manne. Une sorte de provision à l’envers qui leur aurait permis de sécuriser à l’avance les résultats de deux ou trois exercices afin de tamponner l’impact des baisses de prix que va provoquer la réforme en cours de la loi Galland. Ce ne sera pas possible et c’est en une seule fois qu’il faudra aux entreprises concernées passer ce profit exceptionnel dans leur comptabilité. Et c’est également en une seule fois que les actionnaires toucheront ce supplément de dividende.

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