Prix : les enseignes face à l'inflation
Baisse des prix : des années d'inflation à rattraper
A point nommé. L'arrivée de la neuvième vague de relevés de prix de Linéaires, avec ses indices exclusifs, arrive au bon moment. Juste après la signature, autour de Nicolas Sarkozy, de l'engagement « pour une baisse durable des prix », Linéaires dresse le panorama des prix du premier semestre 2004. Marques à la hausse ou à la baisse, classement des enseignes, efforts ou laisser-aller des uns et des autres : voici ce qu'il faut savoir pour comprendre d'où partent distributeurs et industriels avant la grand-messe de septembre.
Si « l'accord Sarkozy » signé le mois dernier produit les effets escomptés, les prix des grandes marques baisseront donc de 2 % en septembre prochain. Soit, peu ou prou, l'équivalent d'un an d'inflation dans les rayons. Selon les relevés exclusifs de Linéaires (voir « Méthodologie » ci-contre), les prix des signatures nationales ou internationales ont en effet augmenté de 1,9 % entre juin 2003 et juin 2004. Et encore : notre étude, qui ne porte que sur les rayons alimentaires des grandes surfaces, n'intègre pas la parfumerie, dont la réputation en matière d'inflation est pour le moins sulfureuse.
13 % d’inflation en quatre ans
Difficile, à ce jour, d'anticiper la réaction des consommateurs à partir de septembre. D'un côté, ils ont de quoi se montrer échaudés. En quatre ans de relevés (soit, au total, la bagatelle de 170 000 prix archivés), notre indice « maison » fait état d'une hausse monstre des tarifs en rayon : + 13 % entre 2000 et 2004. Sur les six derniers mois, les grandes marques sont reparties de plus belle (+ 1,4 %), alors qu'elles semblaient commencer à s'assagir. La tentation du « tous pourris » est grande dans l’esprit du public et les débats retranscrits par la presse ces dernières semaines n'ont amélioré ni l'image des distributeurs ni celle des grands industriels : « Accord a minima sur les prix » (titres de La Tribune et du Figaro du 18 juin), « La grande distribution met la main à la poche sans se ruiner » (Libération du 18 juin), refus de l’UFC-Que choisir de signer l’accord, etc.
D'un autre côté, frustrés par le renchérissement des produits et attentifs aux étiquettes, les consommateurs peuvent justement se montrer sensibles à une baisse moyenne des prix de 2 %. Reste à savoir comment cette moyenne sera obtenue. Toucher aux tarifs d'articles éminemment symboliques dans l'esprit des clients aura un effet sur leur perception de l'inflation (ou, dans ce cas d'espèce, de la déflation) en rayon. Mais, assez maladroitement, plusieurs enseignes, dont Casino et Auchan, se sont empressées de préciser qu'elles envisageaient surtout des actions spectaculaires sur quelques articles (- 10 %, - 20 %) pendant qu'elles ne reculeraient pas sur la plupart des autres références (le bon vieux réflexe de l'îlot de « pertes » dans un océan de profit...).
Des produits bradés au nom de l’effort collectif ?
Une telle perspective, d'abord, soulève un sacré problème méthodologique. Puisque l'effort demandé par le ministre est censé être partagé équitablement, une baisse de prix de 20 % sur un produit suppose d'une part que le distributeur renonce à 10 points de marge arrière (faisable, surtout si aucun « ticket » n'est redistribué derrière au consommateur), mais aussi que l'industriel concerné puisse sacrifier 10 points sur sa propre marge, au nom de l'effort collectif et à destination de tous ses clients (selon toute logique, la baisse devrait être intégrée dans ses CGV - conditions générales de vente - pour ne pas tomber sous le coup du seuil de revente à perte ni être discriminatoire). Illusoire.
Pas de baisse sur l’Actimel qui se vend bien
A supposer qu’une mécanique de contournement des CGV soit trouvée, il n'est pas certain que la poignée de références ainsi discountées marque vraiment les esprits des consommateurs. Pas autant, en tout cas, que les baisses de 20 ou 25 % sur les grandes marques déjà proposées par plusieurs enseignes sous forme de bons d’achat.
Les propos tenus par un représentant de Casino devant un journaliste du Figaro Economie (édition du 18 juin) sont éloquents. En substance, le distributeur a expliqué que le prix de l'Actimel ne sera pas revu parce qu'il se vend très bien, tandis que le pack de huit yaourts nature pourrait baisser de 10 % (et ainsi de suite pour arriver à la fameuse moyenne de - 2 %). En soi, l'exemple n'est pas si maladroit : après avoir furieusement grimpé les années passées, l'Actimel nature (une des références pointées par Linéaires pour son indice) est effectivement resté sage sur les 12 derniers mois (+ 0,1 %).
Mais sur d'autres segments, combien de références phares seront ainsi préservées alors qu'elles n'ont cessé de se renchérir ? Pour citer quelques-uns des plus gros dérapages mesurés par Linéaires sur 12 mois, touchera-t-on par exemple au classique Mont Blanc au chocolat (+ 4,7 %), à la confiture de fraise Bonne Maman (+ 5,0 %), aux BN à la fraise (+ 6,7 %) ou au chocolat en poudre Poulain grand arôme (+ 8,9 %, que la hausse des cours du cacao ne suffit pas à expliquer) ?
Sur la période, d'autres références se sont montrées plus sages, comme les raviolis pur bœuf Buitoni (- 1,0 %) ou l'huile d'olive Puget (- 5,9 %). Mais ces articles avaient auparavant été pointés du doigt par Linéaires pour leurs dérapages à la hausse et, au final, n'empêchent pas l'épicerie d'être plus inflationniste sur l'année que le frais (+ 2,2 % contre + 1,4 %).
Les rayons frais (surgelés inclus), pour autant, n'ont pas à se montrer jaloux. Certes, les cours du lait, à la baisse, ont entraîné dans leur sillage l’essentiel du rayon crémerie (camembert Président à - 0,1 %,Vache qui rit à - 0,4 %, camembert Cœur de Lion à - 0,8 %, etc.). Mais le secteur connaît lui aussi son lot d'augmentations déraisonnables : par le jeu des cours des productions agricoles (Poulet de Loué à + 6,3 %) ou simplement par les politiques de marge des industriels et des distributeurs (Bio de Danone à + 3,0 %, fromage Chaumes à + 3,5 %, Viennetta à + 5,8 %, Carte d'Or vanille à + 6,7 %, etc.).
Un indice Insee pour MDD et premiers prix
Autant dire que pour les mois qui viennent, les prix des rayons seront passés au crible. Par Linéaires, comme le magazine en a l'habitude, mais aussi par toute une nouvelle batterie d'outils, montés qui par les industriels et les distributeurs, qui par les pouvoirs publics (un nouvel indice Insee est même promis, qui devrait surveiller non seulement les marques, mais aussi les MDD et les premiers prix).
Pour septembre, l'objectif sur lequel toutes les parties prenantes se sont engagées est fixé noir sur blanc : « Mettre en œuvre une baisse des prix d'au moins 2 % en moyenne sur les produits de marque des grands industriels, sur la base d'un effort également réparti entre distributeurs et industriels. » D'un point de vue technique, « cet effort se traduira par une baisse des tarifs des marques de notoriété nationale et internationale, apparaissant sur les factures, et une diminution des marges arrière des distributeurs » (voir l'encadré « Décodage »).
2005 : pas d’effort des industriels
En revanche, le texte signé est plus évasif concernant la seconde vague de baisse des prix. Si la presse a souvent fait état d'une nouvelle diminution de 1 % des étiquettes dès janvier, l'accord officiel n'est pas aussi précis : en 2005 (sans autre indication de date), toutes les marges arrière seront gelées au niveau de 2004 et certaines d'entre elles seront réduites pour arriver à une moyenne globale de - 1 point, avec transfert sur facture. Autrement dit, d'abord, aucun effort supplémentaire ne sera demandé aux industriels, hormis « un engagement de modération tarifaire ».
Pour les distributeurs, ensuite, le principe revient à transformer un point de marge arrière en un point de marge avant : libre à eux de le conserver (sans baisser les prix en rayon) ou d'y renoncer afin d'en faire profiter leurs clients. Bien sûr, ce jeu de vases communicants doit permettre de « poursuivre la baisse des prix de vente aux consommateurs ». Mais aucun objectif chiffré n'est mentionné, et certainement pas le « - 1 % » qui supposerait un effort « intégral » de la part des distributeurs. Derrière l'optimisme de façade du ministre, les services de Bercy seraient d'ailleurs loin d'être catégoriques quant à l'impact sur les étiquettes. Sans faire de jeu de mots, les enseignes devraient donc retrouver une petite marge de manœuvre supplémentaire sur les prix en 2005. La concurrence fera le reste.
Méthodologie
Le rythme
Depuis janvier 2000, chaque mois, les journalistes de Linéaires effectuent des relevés de prix en magasin. Tous les six mois, le magazine en publie le bilan : aujourd'hui, c'est au tour de la neuvième vague, réalisée de janvier à juin 2004.
Le parc
150 magasins, répartis sur l'ensemble du territoire, ont été visités en six mois. Les 12 principales enseignes d'hypers et de supermarchés sont couvertes.
Les produits
102 références alimentaires (épicerie, frais, surgelés, liquides) composent notre panier test. 94 sont sont des produits de grandes marques (à notoriété, diffusion et CA élevés) et 8 sont des premiers prix basiques (farine, litre de lait, etc.).
Les prix
Les tarifs relevés sont ceux accessibles à tous les clients désirant acheter les produits dans leur regroupement le plus vendu. Les lots promotionnels, les tickets et autres bons d’achat ne sont pas comptabilisés.
Les indices
L'indice LinéairesPrix établit le classement des enseignes. En parallèle, l'inflation sur les produits de grande marque est pointée.